François-Marie Banier : l'homme fascinant qui a brisé la richissime famille Bettencourt et côtoyé les plus grands artistes
917 millions d'euros. C'est la somme pharaonique que François-Marie Banier a perçue entre 1997 et 2007, grâce aux dons en tous genres de Liliane Bettencourt, alors femme la plus riche du monde.
Tableaux de Picasso ou de Braque, sculptures hors de prix, assurances-vie, voyages, immobilier, chèques de plusieurs centaines de milliers d'euros... Liliane Bettencourt donnait sans compter à son ami et confident François-Marie Banier. Ou du moins, sans évaluer pleinement l'ampleur de ses dons.
La captivante série documentaire Netflix "L'Affaire Bettencourt" nous plonge dans l'univers des ultra-riches, et nous dévoile les coulisses de l'affaire qui a défrayé la chronique en France, à la fin des années 2000. Au centre du documentaire, un personnage intriguant, voire fascinant : François-Marie Banier.
Pour comprendre comment François-Marie Banier est parvenu à soutirer une somme aussi colossale à la richissime héritière de L'Oréal, nous nous sommes intéressés à son histoire. D'où vient-il ? Quel est son parcours ? Et que devient-il aujourd'hui ?
François-Marie Banier est né le 27 juin 1947 à Paris, et a façonné son éducation au carrefour de plusieurs cultures. Son père, hongrois, était un ancien ouvrier devenu publicitaire à succès. Sa mère, d'origine italienne, était autrice de livres de travaux d'aiguille pour enfants.
François-Marie Banier grandit dans un milieu bourgeois, dans le XVIᵉ arrondissement de Paris, sur l'avenue Victor Hugo. Toutefois, malgré un contexte privilégié, son enfance n'est pas dépourvue de difficultés, car son père est un homme très violent.
Alors François-Marie s'échappe dans l'art. À l'âge de 15 ans, il commence à gagner sa vie en vendant ses dessins dans la rue. À 16 ans, il fait la rencontre du peintre Salvador Dali et lui présente ses créations artistiques. Un an plus tard, passionné par l'art bien plus que par l'école, il quitte le lycée, sans même passer son baccalauréat.
Sur la photo : François-Marie Banier et Salvador Dali en 1971.
D'emblée, l'intelligence de François-Marie Banier séduit, tandis que son charisme le mène là où il veut. À 22 ans, après avoir fait plusieurs petits boulots, il accède au poste d'attaché de presse du couturier Pierre Cardin (photo).
Assoiffé d'art, et sous toutes ses formes, Banier fait ses débuts dans la littérature en publiant son premier roman Les Résidences secondaires en 1969. Tout au long de sa vie, il publiera une dizaine d'ouvrages, à la fois des romans et des pièces de théâtre, aux éditions Grasset puis Gallimard.
En parallèle, François-Marie Banier intègre le cercle amical du poète Louis Aragon. Le vieil homme tombe sous le charme du vingtenaire, qu'il décrit comme "l’être le plus fou, le plus généreux, le plus drôle que l’on puisse rencontrer" dans un article intitulé Un inconnu nommé Banier, publié dans les Lettres françaises en 1971.
Dans son livre Le Dernier Aragon (2010), consacré aux dernières années de la vie du riche poète, l'ancien journaliste au Canard enchaîné, Patrice Lestrohan, raconte comment l'entourage jeune et festif de Louis Aragon profitait de son argent et de ses cadeaux, aussi précieux qu'inestimables, comme ses livres rares et ses tableaux de maitres.
Face à cette générosité débordante, un possible héritier du poète a fini par réagir. Alain Toucas, son petit cousin, est alors convaincu que Louis Aragon souffre d'une maladie psychiatrique et évoque une "mise sous tutelle". De leur côté, les amis proches de l'homme de lettres, parmi lesquels figure Banier, qualifient son comportement de "poétique".
Louis Aragon n'est pas le seul à avoir succombé au charme de François-Marie Banier. Séduisant et provocateur, l'écrivain a su s'entourer de plusieurs mécènes, dont la mondaine Marie-Laure de Noailles, l'homme d'affaires Pierre Bergé (photo), Pierre Cardin, ou encore, la décoratrice Madeleine Castaing.
Très vite, les portes du Tout-Paris s'ouvrent devant lui, et son cercle social s'élargit. En août 1972, le magazine britannique The Sunday Times lui consacre un article titré Golden Boy of Paris.
C'est aussi au tournant des années 70 qu'il commence sa carrière de photographe. Au cours de celle-ci, il réalise le portrait de nombreuses personnalités, dont Samuel Beckett, Isabelle Adjani, Caroline de Monaco, Marlon Brando, Sophie Marceau, ou encore, Johnny Depp et Vanessa Paradis.
Sur cette photo, on le voit avec la princesse Caroline de Monaco en 1996.
Proche du couple le plus glamour des années 1990, incarné par l'acteur américain et la chanteuse française, François-Marie Banier a été choisi pour être le parrain de leur fille aînée Lily-Rose Depp. La jeune actrice a également un second parrain, bien connu lui aussi, qui n'est autre que... Marilyn Manson !
Hyperactif, François-Marie Banier poursuit sa carrière d'écrivain et de photographe, tout en consacrant toujours du temps à la peinture et au dessin. Au fil de ses rencontres, François-Marie Banier se crée des opportunités dans le cinéma, et embrasse une petite carrière d'acteur à partir des années 1980.
Le mondain parisien a joué des petits rôles dans plusieurs films, tels que "Chassé-croisé" (1982) réalisé par Arielle Dombasle, "L'Argent" (1983) de Robert Bresson, ou encore "L'Anglaise et le Duc" (2001). Sa dernière apparition dans un long-métrage remonte à 2015, dans le film "Mon Roi" dirigé par Maïwenn.
Cependant, la renommée de François-Marie Banier s'est véritablement construite grâce à son travail de photographe. De Paris à Tokyo, en passant par Los Angeles, Moscou et Rome, les œuvres de Banier sont exposées aux quatre coins du monde.
D'abord en couple avec le décorateur Jacques Grange, avec qui il a acheté un hôtel particulier à Paris, François-Marie Banier va ensuite vivre une histoire d'amour avec le comédien Pascal Greggory pendant sept ans. Malgré leur séparation, les deux hommes sont restés très proches.
Dans les années 2000, François-Marie Banier s'est mis en couple avec le peintre Martin d'Orgeval. Un homme de 26 ans son cadet qu'il a connu grâce à son ex-compagnon, Pascal Greggory étant l'oncle de Martin d'Orgeval. Le couple s'est pacsé en juin 2007.
François-Marie Banier fait la rencontre de Liliane Bettencourt en 1987, par l'intermédiaire de l'actrice et réalisatrice Arielle Dombasle. Un peu plus tard, le photographe collabore avec le magazine Égoïste et réalise le portrait de la milliardaire française, héritière de L'Oréal, dans son hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine.
Rapidement, leur relation évolue et des liens étroits se créent. Liliane Bettencourt est alors âgée de 65 ans et souffre de solitude. Banier devient son artiste préféré. Plus encore, elle est subjuguée par sa personnalité excentrique et fini par tomber, elle aussi, sous son charme naturel.
Par la suite, le photographe fréquente régulièrement la résidence privée de la famille Bettencourt. Il renouvelle et modernise la garde-robe de la milliardaire, lui change sa coiffure, l'écoute, la conseille, la fait rire, mais surtout, contrairement aux autres, lui parle de manière directe et sans détours, comme le révèle le documentaire Netflix "L'Affaire Bettencourt".
"À travers Banier, elle commence à voir qu'il y a tout un monde qu'elle n'avait pas connu et ça l'excite terriblement", explique dans le documentaire Tom Sancton, un écrivain américain qui a consacré l'un de ses ouvrages à cette affaire.
De son côté, le mari de Liliane Bettencourt ne se sent pas menacé par le photographe, bien au contraire : "Même André Bettencourt trouve ça très bien que Banier soit là, parce qu'il chasse la dépression de sa femme", explique la journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué dans le documentaire Netflix. "Et peu à peu, il va lui devenir indispensable parce qu'il la distrait", ajoute-t-elle.
Très (trop ?) généreuse avec tous ceux qui l'entourent, Liliane Bettencourt couvre son meilleur ami de cadeaux et d'argent. Dans un document manuscrit, l'ancienne patronne de L'Oréal lui lègue même son île privée, l'île d'Arros, située dans les Seychelles, que François-Marie Banier l'a encouragée à acheter en 1997 pour 18 millions de dollars, à l'insu du fisc.
François-Marie Banier avait-il des limites ? Après la mort d'André Bettencourt, le photographe aurait eu l'idée de se faire adopter par sa riche amie, selon plusieurs témoins. Des allégations que le principal intéressé a toujours réfutées. Mais c'est bien après avoir entendu parler de ce projet d'adoption que la fille de Liliane Bettencourt a décidé de porter plainte le 19 décembre 2007.
Le documentaire Netflix relate le combat de Françoise Bettencourt Meyers, qui accusait le photographe de profiter de la vulnérabilité de sa mère, dans un état de santé fragile. Une affaire judiciaire qui va générer des tensions entre mère et fille, qui ne se voyaient plus que lors des conseils d'administration de L'Oréal et se déchiraient sur la place publique.
Pascal Bonnefoy, ancien majordome de Liliane Bettencourt, enregistre entre 2009 et 2010 les conversations privées entre sa patronne et son gestionnaire de fortune Patrice de Maistre (photo), dans le but de la protéger. Ces enregistrements vont non seulement révéler la santé déclinante de la milliardaire, mais aussi de potentiels liens financiers avec des hommes politiques français, dont Nicolas Sarkozy, et des fraudes fiscales. Scandale jusqu'au sommet de l'État.
En octobre 2011, Françoise Bettencourt Meyers et ses deux fils Nicolas et Jean-Victor obtiennent la mise sous tutelle de Liliane Bettencourt, qui souffrirait de "démence mixte" et de la maladie d'Alzheimer. La milliardaire s'est éteinte en septembre 2017 à son domicile, à l'âge de 94 ans.
Après plusieurs épisodes judiciaires, François-Marie Banier est d'abord condamné en première instance, en mai 2015, à trois ans de prison, dont six mois avec sursis, et 350 000 euros d'amende. Il devait également verser 158 millions d'euros de dommages et intérêts à la milliardaire pour "abus de faiblesse". Mais le photographe a fait appel de cette décision.
En août 2016, la Cour d'appel de Bordeaux allège la peine de François-Marie Banier. Il écope finalement de quatre ans de prison avec sursis et de 375 000 euros d'amende. Il échappe au versement des 158 millions d'euros de dommages et intérêts, suite à un accord entre les parties.
Après avoir échappé à la prison, François-Marie Banier s'est fait très discret. Il continue d'exposer ses photographies, comme au Musée Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières en 2021 et à la Miguel Abreu Gallery de New York en 2023. Il est aujourd'hui âgé de 76 ans, et sa fortune est estimée à 60 millions d'euros.
Louis Aragon disait à propos de Banier : "Son chef-d'œuvre sera sa vie". Et sur ce point, il se pourrait que le poète ait eu raison. Car finalement, de ce que l'on retiendra de l'artiste, c'est bien sa vie démesurée.