Condamnation à 5 ans de prison pour Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel
Aung San Suu Kyi, femme politique birmane et militante pour les droits de l'homme, lauréate du prix Nobel, pourrait passer, selon certains experts, le restant de sa vie sous les verrous. En effet, elle a été condamnée à cinq ans de prison pour corruption par un tribunal militaire au Myanmar.
Photo : Suu Kyi à La Haye en 2019.
« La junte du Myanmar et ses tribunaux fantoches se coordonnent pour mettre Aung San Suu Kyi aux arrêts. Ses jours en tant que femme libre sont bel et bien comptés. En raison de son âge avancé, cette peine pourrait représenter une peine de prison à vie » déclarait Phil Robertson, directeur adjoint pour l'Asie à Human Rights Watch.
Si les avocats de la lauréate du prix Nobel n'ont pas le droit de discuter de l'affaire, l'accusée elle-même la dépeint comme « absurde ». Le procès, tenu à huis clos, sans public et sans médias, s'est achevé en début d'année par la condamnation de Suu Kyi pour avoir accepté plus d'1,3 million de dollars américains en espèces et en lingots d'or.
Image : Pyae Sone Htun / Unsplash
La condamnation de novembre 2021 de Suu Kyi, pour incitation aux émeutes et violation des restrictions liées à la Covid-19, s'élevait à deux ans de prison. Aujourd'hui, selon la BBC, la nouvelle peine de la femme qui a remporté, en 1991, le prix Nobel de la paix totalise 11 ans d'emprisonnement.
163 ans de réclusion criminelle. C'est le risque qu'encourt l'ancienne dirigeante élue du Myanmar, renversée par un coup d'État militaire en février 2021. Elle serait accusée d'au moins 17 infractions pénales par le nouveau gouvernement, rapporte le New York Times.
Un sommet à Washington a eu lieu début mai, réunissant le président américain Joe Biden et plusieurs dirigeants d'Asie de l'Est. La situation du Myanmar a été clairement au centre des débats.
Alors que la politicienne birmane et son parti remportaient les élections générales du Myanmar en novembre 2020, l'armée la chassait du pouvoir, l'accusant de fraude électorale. Elle est, depuis février 2021, assignée à résidence.
Des manifestations éclatent au Myanmar depuis le coup d'État militaire de février et des milliers de manifestants se sont fait emprisonner, comme l'affirme la BBC.
Selon les associations d'assistance aux prisonniers politiques, le gouvernement birman détiendrait, depuis le coup d'État, plus de 10 000 prisonniers politiques.
Image : Saw Wunna / Unsplash
Une partie de la population qui s'oppose à la junte militaire a formé la Force de protection de la population, se réclamant être le bras armé du gouvernement démocratiquement élu et évincé.
Le procès a été grandement critiqué à l'international, si bien que Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des droits de l'homme aux Nations unies, a dénoncé un « simulacre de procès ». Elle affirme également que cela ne fera que consolider le rejet du coup d'État par la communauté internationale.
En février 2022, une nouvelle série de sanctions contre la junte militaire qui dirige actuellement le pays a été approuvée par l'Union européenne.
Le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis ont suivi le mouvement et imposé de nouvelles sanctions, annoncées le jour de l'anniversaire du coup d'État militaire qui a évincé Suu Kyi.
Si son nom est devenu Myanmar en 1989, il s’agit de l’ancienne Birmanie, un pays qui est dirigé par une série de gouvernements militaires depuis 1962. Ce pays d'Asie du Sud-Est compte plus de 53 millions d'habitants. Voici une photo de Yangon, la capitale du pays.
Suu Kyi est la fille du révolutionnaire birman assassiné lorsqu'elle avait deux ans, Aung San, une figure clé de l'indépendance du pays vis-à-vis des Britanniques en 1948. Une statue à son effigie a été érigée à Yangon.
En 1988, alors que les manifestations de masse connues sous le nom de Soulèvement 8888 secouent le pays, Suu Kyi, qui revenait de ces études à l'étranger, devient l'une des cheffes du mouvement pro-démocratique.
En 1991, le comité Nobel a souhaité honorer Suu Kyi d'un prix et voulu « montrer son soutien aux nombreuses personnes qui, dans le monde entier, s'efforcent de faire avancer la démocratie, les droits de l'homme et la conciliation ethnique par des moyens pacifiques. », louant les « efforts inlassables » de la Birmane.
En 1990, alors que, pour la première fois depuis les années 60, des élections multipartites sont organisées et que le parti de Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie, remporte l'élection, l'armée réfute les résultats.
Et donc, depuis, c'est le « Conseil d'État pour la paix et le développement », c'est-à-dire la junte militaire, qui gouverne le Myanmar, avec à sa tête, le généralissime Than Shwe, de 1992 à 2011.
Jusqu'en 2011, Suu Kyi a continué à travailler sur la politique et à rencontrer les gens (lorsqu'on l'y autorisait), alors qu'elle était sporadiquement assignée à résidence dans sa maison délabrée au bord d'un lac, à Yangon.
Fin 2010, un nouveau gouvernement, dirigé par Thein Shein (photo) et avec l'approbation des forces armées, a pris le pouvoir alors que le paysage politique du Myanmar commençait à changer, et que la junte militaire autorisait les premières élections depuis deux décennies.
20 ans après avoir obtenu le prix Nobel, les réformes mises en place par le nouveau gouvernement ont permis à Aung San Suu Kyi de voyager à l'étranger et de prononcer enfin son discours de remerciement.
Elle a également reçu une médaille d'or du Congrès des États-Unis et a rencontré en 2012, entre autres personnalités du monde entier, le président Barack Obama.
Il n'était pas surprenant que Suu Kyi devienne la dirigeante du Myanmar en 2016, après que son parti a remporté plus des deux tiers de l'assemblée législative du pays.
Mais l’histoire ne s'achève pas là...
Malgré les condamnations internationales, les violences par l'armée à l'encontre des Rohingyas, une minorité musulmane dans un pays majoritairement bouddhiste, se sont poursuivies sous son gouvernement.
Le refus de Suu Kyi à prendre ouvertement la défense de la minorité rohingya est une déception pour les lobbyistes des droits de l'homme étrangers. Son silence à ce sujet a également été vivement critiqué par d'autres prix Nobel de la paix, tels que le dalaï-lama et l'archevêque Desmond Tutu.
Suu Kyi est pointée du doigt pour ne pas avoir utilisé « sa position de facto de cheffe de gouvernement, ni son autorité morale, pour endiguer ou prévenir le déroulement des événements », d'après une mission de vérification des faits de l'ONU de 2018.
Le New York Times qualifie Aung San Suu Kyi de « sainte patronne déchue, ayant conclu un pacte faustien avec les généraux », alors qu'elle rejette ces allégations et défend les militaires du Myanmar en 2019 devant la Cour internationale de justice.
Photo : Frank van Beek/ICJ
Malgré les critiques à l'international, la popularité de Suu Kyi s'est maintenue au Myanmar, si bien que son parti a remporté haut la main les élections générales de 2020. Cependant, les militaires birmans ont critiqué les résultats et ont lancé un coup d'État en février 2021.
Indépendamment du fait que ses partisans reprennent le pouvoir, il est certain que l'aura qui entourait son image a été ternie. Il est fort probable que l'avenir de Suu Kyi soit défini par la direction que prendra le Myanmar à partir de maintenant.