Disparition de Jean-Louis Trintignant : retour sur l’épopée d’une famille de cinéma hors du commun
Le célèbre acteur Jean-Louis Trintignant s'est éteint le vendredi 17 juin à l'âge de 91 ans : l’occasion de revenir en images sur la gloire et les moments tragiques non seulement de cet acteur d'exception, mais aussi d’une famille de cinéma pas tout à fait comme les autres.
La disparition de ce grand acteur a évidemment été accompagnée de nombreux témoignages d'amitié comme d'admiration. Sur RTL, Claude Lelouch a évoqué “la plus belle voix qu’on a entendu au théâtre et au cinéma” (…) “Il nous a fait cadeau de ses cicatrices. C’était un homme remarquable (...) Je lui dois tout”, a-t-il précisé.
Le président français a posté sur Twitter un hommage qui aurait plu à Jean-Louis Trintignant, lui qui cherchait la discrétion plutôt que la gloire : il souligne ainsi "sa beauté sage et son jeu sobre, sa voix grave et ses pudeurs", parlant de lui comme d'un "immense acteur".
Né le 11 décembre 1930 près d’Orange, à Piolenc dans le sud de la France, Jean-Louis Trintignant était le fils de Raoul Trintignant, l’un des responsables de la Résistance dans la région. Alors qu’il est encore très jeune, son père est arrêté et emprisonné par les Allemands. Sa mère, férue de théâtre, et en particulier de Racine, le berce de vers pour compenser un destin raté de dramaturge.
Jean-Louis est aussi le neveu de Maurice Trintignant, un pilote automobile qui a eu son heure de gloire après-guerre. Victorieux des 24 heures du Mans en 1954, Maurice est l’année suivante le premier Français à remporter un Grand prix de Formule 1 comptant pour le championnat du monde, lors du Grand Prix de Monaco.
Après des débuts comme acteur de théâtre et de cinéma, Jean-Louis Trintignant accède à la notoriété en 1956, dans le film « Et Dieu… créa la femme » de Roger Vadim. Il y joue le rôle d’un jeune homme fou amoureux de Juliette, une femme fatale interprétée par Brigitte Bardot.
Les deux jeunes acteurs ont eu une brève liaison à l’issue du tournage, alors que Jean-Louis Trintignant était marié avec l’actrice Stéphane Audran et Brigitte Bardot avec… Roger Vadim. Le couple s’installe ensemble à Paris mais se sépare lorsque Bardot a une liaison avec le chanteur Gilbert Bécaud, alors que Trintignant effectue son service militaire.
En 1958, il rencontre Nadine Marquand, une monteuse qu’il épouse en 1961. Le couple a trois enfants : Marie, née en 1962, Pauline, née en 1969 et morte en bas âge, et Vincent, né en 1973. Le couple se sépare à la fin des années 1970 lorsque Nadine le quitte pour le réalisateur Alain Corneau. Entretemps, Jean-Louis avait eu une liaison brève mais passionnée avec Romy Schneider…
Dans les années 1960, Jean-Louis Trintignant s’impose comme un acteur vedette. Après le succès de la comédie italienne « Le Fanfaron » de Dino Risi, en 1960, il triomphe en 1966 avec « Un homme et une femme » de Claude Lelouch, qui remporte la Palme d’or au Festival de Cannes la même année et l’Oscar du meilleur film étranger en 1967. Son style, à l'économie, fait de lui un acteur aussi discret qu'intense, et lui apporte gloire et reconnaissance.
Sympathisant de gauche, Trintignant s’illustre également dans une série de films engagés. « Z » de Costa-Gavras (1969) dénonce sous une forme légèrement parodique la dictature des colonels en Grèce et permet à l’acteur de remporter le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes.
Jusqu’à la fin des années 1970, Jean-Louis Trintignant tourne avec les plus grands réalisateurs de l’époque, comme Éric Rohmer (« Ma nuit chez Maud »), Jacques Deray et Ettore Scola. Il se retire progressivement du cinéma et se consacre à une nouvelle activité à partir des années 1990 : la viticulture.
C'est d'ailleurs entouré de ses vignes (il produisait un vin appelé le "rouge Garance") et de ses oliviers qu'il a terminé sa vie. Marqué à jamais par les drames qui ont bouleversé son existence, il aura incarné jusqu'au bout des personnages complexes et profonds, bien souvent entouré du reste de sa famille d'ailleurs.
Ainsi, Trintignant a joué dans plusieurs films réalisés par sa femme, Nadine : « Le Voleur de crimes » (1969), « Défense de savoir » (1973) et « Le Voyage de noces » (1976). Leur fille Marie (sur la photo) apparaît dans ces deux derniers opus. Elle avait lancé sa carrière d’actrice dès l’âge de quatre ans, en jouant avec son père dans « Mon amour, Mon amour », réalisé par sa mère.
Militante féministe, Nadine Trintignant a signé le « Manifeste des 343 » en faveur de l’avortement, paru en 1971 dans l’hebdomadaire Le Nouvel observateur. En 2000, elle réalise le téléfilm « Victoire ou la Douleur des femmes », dans lequel sa fille Marie incarne une militante pour le droit à l’avortement.
À partir des années 1980, Marie Trintignant s’impose comme une actrice de talent. Elle est remarquée dans deux films de Claude Chabrol : « Une affaire de femmes » où elle joue une prostituée aux côtés d’Isabelle Huppert, et « Betty », dans lequel elle interprète le rôle d’une alcoolique en rupture avec la société.
Mais sa trajectoire est brisée net. En 2003, alors qu’elle est sur le tournage d’un nouveau film en Lituanie, elle se dispute violemment dans sa chambre d’hôtel avec son compagnon d’alors, le chanteur de Noir Désir Bertrand Cantat. Celui-ci la frappe violemment à de nombreuses reprises, puis s’abstient d’appeler les secours qui auraient pu la sauver.
Hospitalisée à Vilnius, elle est rapatriée en France en état de mort cérébrale et décède le 1er août à Neuilly-sur-Seine. Ses obsèques ont eu lieu au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, en présence d’une assistance habillée en blanc à la demande de la famille.
En 2004, sa mère Nadine publie « Ma fille, Marie », une biographie de Marie Trintignant. Son ex-mari Samuel Benchetrit lui a aussi rendu hommage dans son roman « La Nuit avec ma femme », paru en 2016.
Dernier enfant de Jean-Louis et Nadine, Vincent Trintignant s’est également lancé dans le cinéma, mais principalement derrière la caméra. Acteur ou co-scénariste de plusieurs films de Nadine Trintignant, il a surtout été assistant réalisateur de films de sa mère ou de son père adoptif Alain Corneau, avant de signer lui-même deux réalisations.
Entre 1986 et 1998, Marie Trintignant a eu quatre enfants de quatre pères différents que sont Richard Kolinka, François Cluzet, Mathias Othnin-Girard et Samuel Benchetrit. Le flambeau familial du cinéma sera-t-il repris malgré le destin brisé de leur mère ?
Fils aîné de Marie Trintigant qu’elle a eu avec Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone, Roman Kolinka est né en 1986. Il tient un restaurant à Uzès, dans le sud de la France, où sa mère était installée une partie du temps. Il a aussi eu plusieurs rôles, d’abord dans des films de sa grand-mère réalisés pour la télévision, puis dans plusieurs réalisations pour le cinéma de Mia Hansen-Løve.
Dernier-né de Marie Trintignant, Jules Benchetrit a été élevé par son père Samuel qui a épousé Vanessa Paradis en 2018. Après des études de photographie, il a débuté au cinéma avec des rôles dans des films de son père, comme « Asphalte » (2015), une comédie loufoque qui met en scène des événements improbables dans un immeuble. Le début d’une carrière sur les traces de sa mère et de son grand-père ?
De son côté, Jean-Louis Trintignant a poursuivi à un rythme moins soutenu sa carrière d’acteur à partir des années 2000. Il a néanmoins reçu en 2013 le César du meilleur acteur pour le film « Amour » de Michael Haneke, Palme d’or du Festival de Cannes l’année précédente. Son ex-femme Nadine a déclaré récemment qu’il perdait progressivement la vue.
Quoi qu’il en soit, la famille Trintignant a marqué l’histoire du cinéma français, entre la gloire de Jean-Louis et le destin tragique de Marie, dont ses parents ne se sont jamais complètement remis. Alors que le monde reste bouleversé par la disparition de Jean-Louis Trintignant, qui laissera une marque indélébile dans le cinéma français, on espère que les générations suivantes reprendront la flamme et poursuivront l’épopée familiale.