La singulière histoire de Nasseri, l'homme qui a vécu dans un aéroport pendant 18 ans
À l'origine du film "Le Terminal" de Tom Hanks, il y a une véritable histoire : celle de Mehran Karimi Nasseri, rebaptisé Sir Alfred (par lui-même). Pendant presque deux décennies, il a vécu dans le Terminal nº1 de l'aéroport international Charles de Gaulle, à Paris. Son histoire a fait le tour du monde avant d’inspirer un film.
Tandis qu'au fil des ans, Nasseri a changé certains détails de son histoire, la manière dont cet homme s'est retrouvé dans cette situation a fait l'objet de nombreux débats.
Mais le consensus général semble valider le début de l'histoire : tout a commencé par un départ en avion depuis l'Iran et une demande d'asile politique en raison de certains problèmes dans son pays d'origine.
En 1970, Nasseri est étudiant à l'université de Bradford, au Royaume-Uni. Pendant qu'il y séjourne, il participe à des manifestations étudiantes contre le dernier Shah d'Iran. Lorsqu'il rentre chez lui sept ans plus tard, il est jeté dans une cellule. Plus tard, il est exilé pour avoir conspiré contre le gouvernement.
Après avoir obtenu le statut de réfugié en 1981 par la Belgique, il prévoit donc de retourner en Angleterre où il a fait ses études, seul pays d'Europe qu'il connaît. Ce statut lui permet en effet d'accéder à la nationalité des pays européens.
Mais lors du voyage de la France vers l'Angleterre, Nasseri perd sa mallette, et les documents qui font de lui un réfugié. Sans eux, pas moyen d'entrer en Angleterre : le Royaume-Uni lui refuse l'entrée sur son territoire, et le renvoie en France par voie ferroviaire.
Photo : Clem Onojeghuo / Unsplash
L'homme est arrêté à son retour en France, mais la police le relâche vite, réalisant qu'il n'a rien commis d'illégal, et le dépose même à l'aéroport de Paris.
La perte de ses papiers l'empêche d'entrer légalement en France, ou dans n'importe quel autre pays ; mais comme c’est un réfugié, il n'est plus citoyen iranien... Coincé, Nasseri choisit donc de rester dans l'aéroport, celui-ci étant considéré comme un espace international.
C'est ainsi que commence cet isolement de 18 ans. Le personnel de l'aéroport le voit passer son temps à lire et à observer les passants. Il mange, la plupart du temps, au McDonald du Terminal nº 1 et se lave dans les toilettes de l'aéroport.
Parfois, il fait du nettoyage dans l'aéroport. D'autres fois, les voyageurs, qui commencent à le reconnaître, lui donnent de l'argent.
Christian Bourguet, avocat des droits de l'homme, français, apprend la situation dans laquelle Nasseri se trouve. Il décide donc d'aider l'homme, et découvre rapidement l'étendue du problème.
La Belgique aurait pu fournir une copie de ses papiers à Nasseri, mais ceux-ci ne peuvent être remis qu’en main propre. Or, sans lesdits papiers... comment voyager jusqu’en Belgique ?
En 1999, après plus de 10 ans de procédures, Bourguet parvient à convaincre la Belgique d’envoyer ses papiers à Nasseri. Mais peut-être est-ce trop tard… On soupçonne que la démence a gagné le pauvre homme lorsqu’il refuse ses papiers, qu’il pense faux, choisissant de rester dans cet aéroport.
La légende veut qu’il ait refusé ces papiers car ils étaient adressés à l’Iranien Nasseri... alors qu’il ne se considérait plus comme citoyen iranien mais anglais. Il semble bien que la situation ait fait perdre la tête à cet homme qui se faisait dorénavant appeler Sir Alfred, citoyen britannique !
Pour la première fois depuis 1988, Nasseri (ou plutôt Sir Alfred), quitte l'aéroport en 2006, pour être hospitalisé en raison d'une intoxication alimentaire. Il sort de l'hôpital en 2007, et est aperçu pour la dernière fois en vie dans un foyer pour sans-abris parisien en 2008.
Coécrite avec l'auteur britannique Andrew Donkin, l'autobiographie de Nasseri "The Terminal Man" sort en 2004, et est qualifiée par la critique du "Sunday Times" (journal du dimanche britannique) comme étant "profondément brillante et dérangeante".
L'incroyable histoire de Nasseri a inspiré le cinéma français, avec le film "Tombés du ciel" avec Jean Rochefort, sorti en 1994. La nouvelle "The Fifteen-Year Layover" de Michael Paterniti, traite, elle aussi, de la vie de l’Iranien.
Deux documentaires sur sa vie sont parus : "Waiting for Godot at De Gaulle" en 2000 et "Sir Alfred at Charles de Gaulle Airport" en 2001.
Et bien que ni les documents publicitaires ni le site web du film ne mentionnent la situation de Nasseri comme source d'inspiration du film, il est clair que l'homme a été le modèle du personnage de Viktor Navorski, interprété par Tom Hanks dans "Le Terminal" de Spielberg en 2004.
Le "New York Times" nous rapporte que Nasseri a été payé par Spielberg pour les droits sur l'histoire de sa vie, et qu'il a reçu 250 000 dollars de DreamWorks. On pouvait même le voir arborer une pancarte publicitaire invitant à visionner le film en 2004, alors qu'il résidait encore à l'aéroport.
On espère qu'il a enfin pu se rendre en Angleterre, comme il l'espérait depuis le début. Ce que l’on sait : c’est la Croix-Rouge française qui s’est chargée de l’héberger dans un hôtel proche de l’aéroport à sa sortie de l’hôpital en 2007, puis de le transférer dans un centre d’accueil d'Emmaüs France.